BIOGRAPHIE
Caroline Chariot-Dayez naît à Bruxelles en 1958. Préoccupée par le désir de comprendre ce qu’ est la peinture qu’elle pratique depuis son plus jeune âge, elle fait un master en philosophie. Son existence est faite d’interférences incessantes entre la peinture et la philosophie, qu’elle enseigne. Celles-ci sont comme l’endroit et l’envers d’une même démarche. Caroline Chariot-Dayez a exposé dans de nombreuses foires d’art contemporain et individuellement à Bruxelles, Paris, Lille, Londres, New-York, Mykonos, Miami etc. Parallèlement à ces expositions en galerie, elle présente régulièrement son oeuvre dans des lieux de spiritualité tels que la Cathédrale de Bruxelles, l’Abbaye de Maredsous, d’Orval, Saint Merri etc. (liste exhaustive – onglet Agenda). Certaines de ses oeuvres sont d’ailleurs à demeure à la Cathédrale Saints-Michel-et-Gudule, à l’Abbaye d’Orval et à la Collégiale Notre-Dame de Dinant.
ŒUVRE
Son travail pictural a été profondément influencé par l’oeuvre de Maurice Merleau-Ponty dans les premières années et, plus récemment, par les œuvres mystiques de Simone Weil. Depuis plus de quinze ans, elle ne peint que des plis, transportée par leur beauté. Bien au-delà d’un « sujet », ils sont devenus pour elle comme un langage accordé à l’invisible. Tous ses tableaux sont peints à l’huile sur panneau.
La figure du pli est apparue dans son travail lorsqu’elle a cherché à comprendre le sentiment de dépossession qui l’habitait, comme beaucoup de peintres, lorsqu’elle peignait. C’est dans le dernier ouvrage de Merleau-Ponty, le Visible et l’Invisible, où il développe sa notion de « chair » qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Quand le peintre voit les choses visibles, explique Merleau-Ponty, il ne les voit pas comme d'un balcon, retranché du monde. Il les voit du dedans d'elles parce que son corps est l'une d'elles. Le voyant appartient au visible, son regard appartient aux choses et il se glisse dans un rapport à soi de l’être en train de se manifester. Dans la vision, le visible est comme retourné sur lui-même. Un creux est aménagé, un pli, cavité centrale par laquelle l’être revient à soi pour se manifester. Le peintre appartient à une vision qui se fait dans les choses et ne fait que participer à ce mouvement de manifestation ; il ne le crée pas.
Le pli rassemble la distance et l’appartenance. Il est à la fois l’écart (entre ses deux bords) et la continuité entre eux. La contemplation a cette forme paradoxale. Elle estompe la différence entre l’objet et le sujet. Le contemplant s’oublie comme sujet séparé, se sent appartenir à ce qu’il contemple, englobé par lui. Mais en même temps, la contemplation est distance car elle est avant tout regard dont le recul va de pair avec l’existence du désir pour ce qui est contemplé, à l’opposé de la captation et de la possession, expression de la crainte révérentielle par rapport au mystère. Ainsi le pli est la forme de la contemplation. Son creusement et sa béance sont la mesure de l’ouverture et de la réceptivité, mais en même temps de la dissolution du sujet qui n’est plus qu’attention.
A l’opposé du souci de maîtrise académique, le réalisme est pour Caroline Chariot-Dayez la façon de vivre durant des heures cette dépossession de soi-même, l’accession à un mode d’être anonyme, quasi mécanique et éminemment extatique. La main peint sous la dictée de ce qui est vu, le déjà-là, auquel elle ne veut rien ajouter ni retrancher, merveilleux tel qu’il est. Le réalisme est acquiescement et célébration de ce qui est. Plongée médusée dans le réel, il est fascination, adoration. Simone Weil dit : « la pure attention est prière ». Il est Joie.
Le pli donne une troisième dimension à la surface du tissu: la profondeur. Il est la structure d’une réalité qui n’est pas plate mais profonde. Les choses sont mystérieuses, labyrinthiques, complexes mais jamais chaotiques. On passe de la lumière à l’ombre et de l’ombre à la lumière. Elles ne sont pas coupées l’une de l’autre, on glisse de l’une à l’autre sans solution de continuité. Elles sont montées, agencées l’une sur l’autre, comme l’envers et l’endroit ou le dedans et le dehors l’une de l’autre, indissociables, formant une texture cohérente et harmonieuse, un cosmos. Le réel n’est pas fragmenté, cloisonné. Rien ne subsiste comme entité séparée. Il est sans couture, simple, Un.
Le pli est singulier, unique, sans cesse renouvelé, sans cesse différent. Il est la matière d’une réalité mouvante, en devenir, en train de naître et de disparaître, de se manifester et de se cacher. Le pli est un lieu de genèse. Ses écarts, ses modulations, ses jointures sont comme un système diacritique de différenciation, une structure de manifestation. « L’esprit sourd comme l’eau dans la fissure de l’être » dit Merleau-Ponty. De ses différences, de ses déhiscences, quelque chose advient. Il est « primal » au sens féminin parce qu’il est un lieu de naissance. Il est fécondité, gestation, parturition. D’où les cocons, les ombilics et tous les tableaux où il est question d’origine et de naissance.
A l’observateur attentif, le pli révèle des surprises. Caroline Chariot-Dayez fait la découverte d’une singulière lueur tapie dans la profondeur des ombres les plus sombres. Elle voit aussi que les creux, les interstices, les jointures, alors qu’on les attendrait noirs ou foncés, sont rouges, dorés, incandescents. C’est là que se situe pour elle la partie la plus intéressante du travail sur les plis. Là où le pli se fait voile, qui cache, mais, en cachant, manifeste ce qui est caché. Ces interstices sont une ouverture sur autre chose, sur un ailleurs derrière la peau du réel. Ils signalent que le réel est habité, indiquent comme une présence au coeur des choses. Ces lueurs discrètes dans l’ombre, ces rais de lumière incandescents sont comme un appel vers une autre réalité, comme l’échelle de Jacob quand, soudain, le ciel s’ouvre et, dans la trouée, un échange se produit entre le visible et l’invisible. Le pli parle de la visitation de l’invisible au coeur du visible. Il est un lieu d’irruption de la transcendance.
Le fond blanc est sans doute l’expression de l’étonnement devant l’étrangeté des choses, de la question philosophique essentielle “qu’est-ce que ?” Mais Wittgenstein dit: “Le sentiment du monde comme limité est le sentiment mystique”. Le fond blanc est « fons » au sens latin de “source”, infini invisible d’où tout émerge et où tout s’accomplit. Il ne reste pas en bordure mais traverse la matière, l’ habite, l’ irradie, la diffracte et la ramène à lui. Cet infini invisible est la lumière qui est source de toute visibilité mais qui se dérobe à la vision, par essence. Elle ne se révèle que dans son absence, dans ce qu’elle n’est pas mais qu’elle fait être, la matière -qui l’arrête- et ses ombres. Seules les ombres nous rendent visible cet invisible. Et de fait, dans les plis, elles sont translucides.